Le Prix Seligmann contre le racisme 2004

a été remis, le mercredi 26 mai 2004, dans les Salons de l’Hôtel de Ville de Paris,

en présence de Bertrand DELANOË, Maire de Paris, Maurice QUENET, recteur de l’Académie, Chancelier de l’Université de Paris, Françoise SELIGMANN et les membres du Jury,

à Yossi Beylin et Yasser Abed Rabbo, auteurs de « L’initiative de Genève sur la paix au Proche Orient ».

 

Discours prononcé à cette occasion par la Fondatrice du Prix, Françoise Seligmann

“Ce prix que nous allons remettre aujourd’hui pour la première fois, j’ai voulu le créer parce que François-Gérard Seligmann, mon mari, et moi-même, nous avons vécu, par deux fois dans notre vie, les ravages du racisme. D’abord, contre les Juifs, pendant les années de l’occupation de notre pays par les Nazis, aidés dans leur tâche par leurs collaborateurs français. Ensuite, contre les Arabes, pendant les années de la Guerre d’Algérie.
Je pense ce soir, ici, aux familles juives d’Europe centrale, qu’avec mes camarades de la Résistance , je convoyais dans la nuit jusqu’à la frontière suisse : des intellectuels de haut niveau, de réputation internationale, réduits à l’état de loque humaine, des femmes, des enfants, des vieillards, éperdus, humiliés, terrifiés.
Je pense aux patriotes algériens morts ou détruits, sous les tortures des parachutistes français. ” Pas d’humanité pour les Arabes !” tel était, je m’en souviens, l’horrible cri de haine que le père de Djamila Boupacha nous avait rapporté, en sortant des prisons de l’armée française.
Point n’est besoin, dès lors, d’en rajouter, quant aux raisons qui me rendent plus sensible à la cruelle absurdité d’une guerre qui, depuis bientôt près de 60 ans oppose Juifs et Arabes, déchirant des consciences, détruisant des familles, martyrisant des peuples, brisant des amitiés, aussi.
Ce prix s’intitule simplement “Prix Seligmann contre le racisme”. Sa vocation, telle que nous l’avons définie est de récompenser une oeuvre écrite, consacrée à la lutte contre le racisme, au combat pour la victoire de la raison et de la tolérance, et s’attaquant aux sources du fléau: fondamentalisme religieux, colonialisme, discriminations fondées sur la race, la nationalité, la religion ou le sexe.
Lorsque la nouvelle de la signature du Pacte de Genève nous est parvenue, Pierre Joxe, Henri Leclerc et moi-même, sans hésiter une seconde, avons lancé cet appel qui, selon nous, s’imposait:”surmontant les atrocités de la guerre, des Israéliens et des Palestiniens ont eu le courage de rechercher ensemble, en s’appuyant sur les résolutions de l’O.N.U., les conditions possibles de la paix entre les deux Etats ( je souligne”les deux Etats”.) Leurs négociations, qui se sont poursuivies pendant trois ans ont abouti au Pacte de Genève.Nous saluons leur démarche, en espérant que nombreux seront les citoyens, en France et en Europe qui voudront les soutenir et participer à l’établissement de la paix entre les peuples d’Israël et de Palestine.

Dans le préambule du Pacte de Genève, les signataires affirment leur détermination à mettre un terme à des décennies de souffrance, de haine, d’incompréhension et à permettre aux uns et aux autres, Juifs et Arabes, de vivre dans la dignité, la sécurité, par la coexistence pacifique basée sur une paix juste, durable, totale.
En se référant à ce préambule, Patrick Baudouin, Président de la Fédération internationale des Droits de l’Homme, nous a proposé, pour le Prix Seligmann, la candidature des initiateurs du Pacte de Genève : Monsieur Yossi BEILIN, ancien vice-ministre israélien des Affaires étrangères, ancien ministre de l’Economie puis de la Justice , et Monsieur Yasser Abed RABBO, ancien ministre palestinien de la Culture et de l’Information.
Nous avons retenu, avec enthousiasme, cette proposition considérant que l’initiative courageuse, lucide, de ces deux hommes, de ces deux justes, constitue une avancée inédite et importante vers la réconciliation, qu’elle s’inscrit dans ce combat universel, pour la raison et contre l’intolérance, que ce Prix a pour vocation de récompenser. A l’unanimité des membres du jury, le Prix Seligmann est donc décerné à Monsieur Yasser Abed RABBO et à Monsieur Yossi BEILIN.
Cette réconciliation que vous appelez de vos vœux est-elle possible, aura-t-elle lieu, après tant de ravages et une telle charge de haine entre vos deux peuples ? Permettez-moi, pour conclure, de vous offrir une raison d’espérer : il y a cinquante ans, nous Français avons connu l’occupation allemande, la gestapo et tous les malheurs que la guerre peut engendrer. Et pourtant six ans après la Libération , en 1951 les premiers pas de la réconciliation franco-allemande amorçaient la construction de l’Europe ; vous voyez ou nous en sommes aujourd’hui.
A moins de trois semaines des élections européennes, je veux rappeler que Simone Veil, matricule d’Auschwitz à l’avant-bras, fut élue en 1979 première présidente du Parlement européen ; elle en témoigne mieux que tout autre : rien n’est insurmontable à qui veut survivre, résister, construire, rebâtir.

Merci, Monsieur BEILIN, merci, Monsieur RABBO. Ce soir, en vous rendant hommage, nous ne saluons pas une utopie de plus. Nous saluons la paix, la raison, le respect mutuel qui, demain, l’emporteront sur le fanatisme, le racisme et l’ignorance. Inéluctablement.
Je vous remercie.”