Le prix Seligmann contre le racisme 2008
a été remis le jeudi 8 janvier 2009 dans les Salons de l’Hôtel de Ville de Paris, en présence de Bertrand Delanoë, maire de Paris, Patrick Gérard, recteur de Paris, Grand Chancelier des Universités, Françoise Seligmann et les membres du jury
à Scholastique Mukasonga pour son ouvrage “La femme aux pieds nus”, paru aux Editions Gallimard.
Discours introductif de Françoise Seligmann
Merci d’abord à vous tous, et toutes, qui êtes présents, pour honorer avec nous Scholastique MUKASONGA.
Je voudrais d’abord remercier mon ami Bertrand DELANOË qui nous accueille, une fois de plus, dans sa Mairie, et qui, membre du Jury, comme Pierre JOXE et Yvette ROUDY, soutient toujours fidèlement notre lutte contre le racisme.
Permettez-moi aussi de saluer la présence parmi nous de Monsieur Patrick GÉRARD, nouveau recteur de l’Académie de Paris, Chancelier des universités, qui, désormais, présidera les débats de notre Jury.
C’est dans cette salle, en 2004, que le Jury unanime a décerné notre premier Prix, et je l’avoue avec une certaine fierté, à Messieurs Yossi BEYLIN et Yasser ABED RABBO, les auteurs israëlien et palestinien de « l’Initiative de Genève sur la paix au Proche Orient ». Une tentative qui, hélas, est encore loin d’aboutir, mais qui reste l’expression, le vœu jamais découragé de tous les défenseurs des droits de l’Homme.
en 2006, d’une part Madame Esther BENBASSA et Monsieur Jean-Christophe ATTIAS pour leur ouvrage « Juifs et Musulmans, une histoire partagée, un dialogue à construire » aux Editions de La Découverte et d’autre part Madame Françoise VERGES pour son ouvrage « Mémoire enchaînée, questions sur l’esclavage » aux Editions Albin Michel ;
en 2007, Monsieur Bachir HADJADJ pour son ouvrage « Les voleurs de rêve » aux Editions Albin Michel, une histoire de l’Algérie depuis avant la conquête de la France et jusqu’aux premières années des gouvernements algériens issus de l’indépendance.
Je laisse la parole à Bruno FULDA qui va vous dire quelles ont été les raisons de notre décision.”
Discours de Bruno FULDA, secrétaire général de la Fondation Seligmann
“Avant d’exprimer à Mme Mukasonga toute l’émotion que son oeuvre a suscitée parmi les membres du jury – auquel j’ai l’honneur d’appartenir – je voudrais évoquer certains des autres livres parmi la vingtaine soumis au jury par la chancellerie des universités de Paris, qui héberge et gère le prix Séligmann contre le racisme. Ces ouvrages aussi nous ont émus par les questionnements qu’ils portent:
- Jeudi saint de Jean-Marie Borzeix, une belle enquête dérangeante sur la mémoire de l’occupation et de la déportation, et qui expose avec une cruelle simplicité ce que fut la conduite de la majorité des Français sous l’occupation allemande ;
- Personne ne m’aurait cru, alors je me suis tu, de Sam Braun, qui après un très long silence de retour des camps de la mort, nazis, ceux-là, parle du pardon et de la pédagogie ;
- La muette de Chahdortt Djavann, roman qui témoigne de l’abominable situation des femmes au sein de la société iranienne intégriste ;
- La double présence de Mme Betoule Fekkar-Lambiotte, parcours exemplaire en Algérie et en France, d’une femme algérienne, luttant contre les conventions et défenseure du pluriculturalisme !
- Tels des astres éteints de Léonora Miaro, foisonnant roman qui donne une autre vision de la psychologie des jeunes noirs au cœur de notre société occidentale ;
Enfin,
- Je dois tout à ton oubli, de Malika Mokeddem, qui apporte une touche personnelle à l’ardente lutte pour l’émancipation féminine; Ce récit expose avec une redoutable clairvoyance les combats intérieurs entre la vie que cette fille du Sahara a construite par la force de sa volonté dans la France libre et laïque, et la vie archaïque de sa famille restée au pays, marquée de tous les préjugés d’un autre siècle – où les conventions sociales conduisent à un infanticide à jamais tu.
Le Jury unanime a décerné le Prix Séligmann 2008 à Mme Mukasonga pour La femme aux pieds nus. Pour moi, c’est « le livre de ma mère » de Scholastique Mukasonga; c’est d’abord l’émouvant récit de la perte d’une mère, c’est aussi l’indignation contre le crime commis sur cette mère, durant le terrible génocide des populations Tutsis du Rwanda en 1994 et la lancinante douleur de ne pouvoir respecter la tradition qui pourtant s’imposerait : « recouvrez mon corps avec mon pagne, personne ne doit voir le corps d’une mère ». C’est aussi le récit d’une déportation. La population Tutsi fut déportée dans le Bugesera, et l’auteur retrace les conditions de vie misérables où le gouvernement rwandais avait installé son propre peuple. L’on sait que que les déplacements de populations furent souvent dans l’Histoire le prélude à des début des éliminations physiques, qui se passent ainsi à l’écart, après un premier tri…
Ce prix récompense la puissance du témoignage de Mme Mukasonga, sa qualité d’écriture bien sûr, la force de l’évocation d’une vie qui aurait pu être paisible, avec ses histoires d’enfants, ses jardins médicinaux, ses secrets d’artisanats et de gastronomie. Mais il récompense aussi l’ensemble de l’oeuvre écrit de Scholastique Mukasonga, c’est-à-dire également son autre ouvrage « Inyenzi ou les cafards », qui retrace ce qu’elle et sa famille ont vécu lors des offensives génocidaires perpétrées dès le début des années soixante et qui atteindront leur épouvantable paroxysme en 1994, en territoire rwandais contre les populations Tutsis, désignées par leurs bourreaux sous le vocable effroyablement raciste de cafards : ceux que l’on veut écraser impunément comme des insectes malfaisants. Il faut lire ce livre, qui jamais ne parle de vengeance, qui n’emploie quasiment jamais le terme d’assassinat, décrivant, tel Imre Kertesz les événement sans porter de jugement, et qui semble, incroyablement, écrit sans haine.
Ces deux ouvrages se complètent pour permettre notre appréhension, et des rouages qui ont inéluctablement conduit à l’ignoble, et du formidable élan dont a fait preuve comme tant d’autres une « Mère Courage » pour tenter de sauver ses enfants.
Martin Luther King a écrit que « nos vies commencent leur déclin au moment même où nous devenons silencieux sur les choses qui comptent ». Les massacres au Rwanda restent dans l’actualité avec par exemple la condamnation par le TPIR du colonel Bagosora et de deux autres officiers à la prison à vie le 18 décembre dernier, ce qui ne ressuscite pas le million de victimes de 1994, ni les victimes des massacres divers depuis 1963, … mais ce qui contribue à ne pas rester totalement silencieux face à l’injustice.
Si parmi la sélection, riche, je l’ai dit, des ouvrages pouvant prétendre au prix Séligmann cette année, le jury a choisi l’oeuvre de Mme Mukasonga, c’est aussi pour tenter d’atténuer l’impardonnable erreur commise par la France au moment du génocide, en 1994, où la classe politique savait, mais ne voulait pas savoir, où des témoignages arrivaient à Paris, mais où l’on ne voulait pas comprendre que l’impossible, l’inimaginable, l’inacceptable, était en train de se dérouler à 6200 km. Où les témoins étaient qualifiés de Cassandre. Les débats du Parlement témoignent de cette incompréhension qui nous a honteusement conduits à l’indifférence stigmatisée par l’inscription que j’ai lue sur la cour d’appel de New York.
J’exprime ici la pensée de Françoise Séligmann, à l’époque sénateur des Hauts de Seine, et qui toujours porte le fardeau de n’avoir, avec tant d’autres, pas compris, et de n’avoir rien fait, de ne pas s’être révoltée contre une situation intolérable, de ne pas avoir bousculé le pouvoir politique de l’époque. Nous tous qui avons appris plus tard la réalité des événements, portons ce regret.
Le Rwanda a bâti des mémorials, on y trouve des pyramides de crânes, des empilements de tibias, d’humérus… poignants témoignages d’existences broyées et vouées à l’anonymat. Le monument de mots bâti par Scholastique Mukasonga est un mémorial de papier qui maintient vivante la mémoire de tous ces disparus. Merci Mme Mukasonga !
Allocution de Monsieur le Recteur de Paris
Madame SELIGMANN,
Mesdames et Monsieur les Ministres ,
Mesdames et Messieurs les membres du Jury,
Madame la lauréate,
Mesdames, Messieurs,